L’homme au bonnet

L'homme au bonnet

Cela faisait environ un quart d’heure que j’étais assis sur ce banc. Comme à mon habitude, je regardais les passants en griffonnant de temps à un autre sur un petit carnet à la couverture noire. Parfois, je tournais légèrement la tête vers la gauche pour vérifier que mon bonnet était toujours posé à côté de moi et que mes gants noirs trônaient toujours au-dessus de lui.

Aujourd’hui, je m’étais installé face à un immeuble. La rue était plutôt passante. Nombre de voitures l’empruntaient, dont notamment ces fameux taxis noirs. J’avais fait le croquis de l’un d’entre eux.

Il y avait trop de neige pour que les gens sortent de chez eux. Mais les hommes d’affaires étaient tout de même au rendez-vous. Ils portaient pour la plupart des costumes noirs, une chemise blanche et une cravate noire au nœud bien ajusté. Ils marchaient avec une grande fierté. Certains portaient un parapluie noir sous le bras.

Un arrêt de bus se situait sur la droite de mon champ de vision. Un homme avec un béret noir s’y tenait debout. Il lisait un journal au travers de ses lunettes de soleil. À gauche, au coin de la rue, se trouvait un pub. Le ciel était blanc. Il allait sûrement neiger à nouveau.

Tout à coup, un homme descendit de l’immeuble en courant. Il retint un sanglot, puis s’effondra sur ses genoux. Sa chemise blanche et ses mains étaient tachées de sang. Il prit sa tête entre ses mains et commença à pleurer. Ses larmes tachées de sang teignaient la neige d’une couleur rougeâtre qui contrastait avec les couleurs monochromes de la ville.

Personne ne réagissait. Les passants continuaient leur route sans lui prêter attention. C’était étrange. Cet homme n’était pas vraiment le genre d’homme qui pleure. Je n’aurais pas cru cela de lui. D’ordinaire, il ressemblait à ces passants. Froid et avec un orgueil démesuré, trop fier pour être vrai…

On entendit des éclats de voix venant du pub. Sûrement une bagarre qui venait d’éclater…

Il fallait finir la mission. Je rangeai le carnet dans la poche droite de mon blouson. Je me saisis des gants, puis les plaçai dans une même poche. Je posai mon bonnet sur ma tête, puis tirai la fermeture éclair du blouson.

Je me levai, puis jetai un regard à l’arrêt de bus. L’homme au béret était toujours là. Il fumait  un cigare.

Je lui tournai le dos pour me diriger vers le passage piéton et traverser la rue. Je m’approchai de l’homme agenouillé sur le sol et m’accroupis auprès de lui, sans un mot.

Je posais ma main droite sur son dos, tout en glissant ma main gauche dans la poche de mon blouson. Là, se trouvait un couteau. Sa lame était d’une fraîcheur glaciale, mais rassurante. Je regardai les grands yeux noirs de l’homme. Ils brillaient, comme s’il me suppliait. Il avait compris.

J’hésitai un instant. Je jetai un regard sur la droite. L’homme de l’arrêt de bus me fit signe et me rappela à mon devoir. Je ramenai ma main gauche de la lame sur le manche avant de sortir le couteau de ma poche. Mes doigts s’étaient crispés sur le manche. Je fermai mes yeux en enfonçant la lame dans la poitrine de l’homme, n’osant affronter ce que je venais de faire.

Lorsque j’eus fini, je me relevai, puis partis en tournant le dos à l’homme de l’arrêt de bus. Mon œil droit s’humidifia, puis une larme coula. Elle longea l’aile droite de mon nez avant d’arriver à la commissure de mes lèvres. Je sentis alors sa saveur salée. Elle avait un goût particulier.

Maintenant, les flics vont savoir où le trouver

Escaliers de service - New York

« Merde !Tu aurais dû être mieux informé ! Maintenant, les flics vont savoir où le trouver… »

Je viens de me réveiller en sursaut. Ces mots sont les premières paroles que j’entends. Elles sont suivies de deux coups de feu assourdissants, puis c’est le silence. Cela venait de la chambre du dessous. Je me tourne vers mon réveil. Il affiche 6h37.

Les premières lueurs du jour pointent le bout de leur nez dans mon petit appartement de 10 m2 de la banlieue new-yorkaise. Un quartier qui craint, comme certains disent. Pourtant, moi, je m’y sens bien. Certains pensent que ce n’est pas du grand luxe, mais c’est mon cocon : petit, mais avec le strict nécessaire pour une vie confortable.

Je me suis levée, j’ai rapidement mis un jean et un t-shirt blanc, puis j’ai enfilé une paire de baskets rouges.

Ici, les disputes sont habituelles, les coups de feu le sont tout de même moins…

L’occupant de la chambre du dessous s’appelle Malik. Un bon petit gars d’une vingtaine d’années originaire d’Algérie. C’est l’un de mes potes. On va souvent au skate-park devant l’immeuble ensemble.

Je viens d’arriver devant sa chambre. La porte est entrouverte. On dirait qu’elle a été forcée. J’entre, et sur le sol, gît Malik, couvert de sang. Je m’approche de lui. Un léger souffle sort de sa bouche entrouverte. Il n’est pas mort !

Je me saisis alors d’un drap qui traîne pour faire un point de compression sur sa blessure comme je l’ai vaguement appris pendant une formation au secourisme. Maintenant, les flics vont savoir où le trouver… Mon père m’avait toujours dit de retenir ce numéro, en cas d’urgence… Il avait raison !

Je suis sous le choc. Elles sont suivies de deux coups de feu assourdissants, puis c’est le silence. Quoi que… Ces derniers temps, il avait changé… Il était devenu plus distant…

Qu’est-ce qu’il avait bien pu faire ? Il aurait dû être mieux informé à quel sujet ? Les flics vont savoir où trouver quoi ? Tant de questions se bousculent dans ma tête, et pourtant, je dois garder mon calme. Il a toujours ce faible souffle de vie en lui. Ce n’est pas grand chose, mais ce sera peut-être suffisant. J’ouvre rapidement la fenêtre du balcon pour avoir un peu plus d’air, puis je reviens auprès de Malik, pour maintenir la pression sur sa plaie.

C’est alors que les lèvres de Malik commencent à remuer. J’approche mon oreille droite près d’elles, et il murmure :
« Tu te rappelles ? Basho, ce qu’il disait ? Il disait : Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin. »

Il s’arrête un instant, puis il reprend, avec un soupçon d’inquiétude à peine perceptible :
« Derrière… ».

Je me retourne. Dans l’encadrement de la porte se tient un homme blanc à la stature imposante. Je m’en fais une rapide description : une quarantaine d’années, cheveux gris, yeux bleus, en costume… Ce n’est pas vraiment le genre de gars avec qui j’irai traîner, c’est plutôt le genre qui fait froid dans le dos…

J’aperçois alors un reflet sur un mur… le reflet d’une arme.

Je réfléchis un quart de seconde et je décide de prendre la fuite. Je me rue à travers la fenêtre du balcon ouverte et j’atterris sur l’escalier de service. Au moins, je me rends compte que les entraînements de muscu n’étaient pas inutiles.

L’autre me prend en chasse. Je commence à dévaler l’escalier en courant lorsqu’il me crie : « Eh ! Crâne d’œuf ! C’est est fini pour toi, le black ! ». Un coup de feu part. C’en était fini.


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