Interview du nutritionniste Jean-Michel Lecerf

Retranscription de l’interview

Jean-Michel Lecerf

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis le docteur Lecerf, médecin endocrinologue, donc spécialiste dans les maladies endocriniennes, dans les maladies métaboliques et dans les maladies de la nutrition. Je travaille à l’Institut Pasteur de Lille et au CHRU de Lille, comme médecin et comme chercheur.

Le rôle de la nutrition dans l’obésité paraît évident, mais qu’en est-il concernant les mélanomes ? A-t’elle une influence sur les mélanomes ?

C’est deux choses qui n’ont rien à voir, pour les mélanomes la nutrition n’intervient pas. Le rôle de l’exposition au soleil est bien sur majeur, mais il y a aussi des facteurs génétiques pour expliquer leur apparition. De plus, il y a des gens plus ou moins sensibles, en fonction de leur couleur de la peau et d’autres facteurs. En outre, les protections du type complément alimentaire ne sont pas du tout satisfaisante pour se protéger du mélanome.
Dans l’obésité par contre, la nutrition est en apparence essentielle, mais elle n’explique pas tout : elle explique peut-être la moitié de la survenue de l’obésité.

La nutrition joue un rôle dans l’épidémie de l’obésité. Le fait qu’il y ait de plus en plus de gens qui prennent du poids est sans doute lié à des facteurs dans lesquels la nutrition joue un rôle en même temps que le manque d’activité physique, c’est-à-dire la sédentarité.

Mais dans l’épidémie de l’obésité, il y a aussi des facteurs environnementaux. Par exemple, on pense de plus en plus qu’il y a des facteurs liés à des polluants dans l’environnement, qui peuvent jouer un rôle très précocement lorsque les fœtus sont exposés à ces polluants dans le ventre de la maman. Il y a aussi d’autres facteurs comme l’arrêt de tabac par exemple ou au contraire le tabagisme chez la maman lorsqu’elle attend son bébé. Et puis il y a des facteurs encore mal connus, mais très importants liés à la flore intestinale. Tout ça ce sont des facteurs qu’on va qualifier d’environnementaux ou liés au mode de vie et qui expliquent que l’obésité augmente.
Après il y a des susceptibilités individuelles très très forte qui font qu’à alimentation et à mode de vie égal, à sédentarité égale, à malbouffe égale, tout le monde ne fait pas de l’obésité. Il y a des tas de gens qui mangent mal et ne deviennent pas gros et il y a beaucoup de gens qui en ne mangeant pas très bien deviennent très vite très gros. Ceci étant, quand on mange mieux, on a moins de risque de grossir.
Donc il y a vraiment une interaction entre le mode de vie, l’alimentation en particulier, la sédentarité bien sur, et les facteurs individuels d’origine génétique. C’est très compliqué, l’obésité n’est pas une maladie nutritionnelle, c’est une maladie dans laquelle la nutrition joue un rôle, et elle est loin d’être exclusive.

Au niveau nutritionnel, quels sont les facteurs aggravants pour l’obésité ?

C’est une bonne question. Ce qui est très très très nocif, c’est, bien sûr, l’excès de calories par rapport aux dépenses. Mais normalement, si on mange trop de calories une fois, on corrige ça immédiatement, spontanément. Donc ce qui joue un rôle ce n’est pas l’excès de calories une fois, c’est l’excès de calories chroniques, c’est-à-dire régulier, quand on mange régulièrement plus que ce qu’on dépense.
Qu’est-ce qu’on fait pour manger plus que ce qu’on dépense ? Bien souvent, on mange des calories inutiles et notamment des aliments qui sont superflus : les boissons sucrées sont très fortement impliquées dans l’épidémie de l’obésité, et puis globalement, les aliments trop riches, trop gras, trop salés qu’on rajoute inutilement dans l’alimentation. Si on les rajoute occasionnellement, ce n’est pas grave, si on les rajoute de façon régulière, c’est vraiment un problème.
Comme dit précédemment, l’une des façons de manger par rapport à ce qu’on dépense, c’est donc de consommer régulièrement des boissons sucrées. Le fait de consommer régulièrement ce type de boissons contribue fortement à ce qu’on mange plus que ce qu’on dépense, parce que les boissons sucrées, c’est du superflu, et leur prise n’est pas compensée, n’est pas rééquilibrée sur les repas suivant. Souvent, ce sont des consommations supplémentaires, inutiles, entre les repas, et quand c’est régulier ce n’est pas bon du tout, quand c’est occasionnel ce n’est pas grave. Tout ce qui est occasionnel ne pose pas de problèmes, tout ce qui est régulier pose des problèmes. Donc ça c’est vraiment quelque chose qui est ennuyeux, à coté bien sur d’une alimentation trop riche par rapport à ce qu’on dépense. Donc les gens sont beaucoup trop sédentaires, mais on est inégaux par rapport à tout ça.

Y a t’il une différence dans l’hygiène nutritionnelle selon l’âge et le sexe des personnes ?

Selon le sexe non, les femmes doivent manger moins que les hommes.
Sur le plan de l’âge, oui.
En particulier à l’adolescence, il est normal de manger plus.
Par contre chez les gens sans activité, il ne faut pas manger trop peux, c’est important, car sinon on risque de manger insuffisamment et d’entrainer une sous-nutrition, une dénutrition.
Sur le plan des enfants, les jeunes enfants en particulier, il est clair que, proportionnellement par rapport à leurs apports, ils ont besoin de manger plus que les adultes, même si c’est en valeurs relatives, en valeur absolue c’est effectivement un petit peu moins. C’est même parfois beaucoup moins.
La grosse différence chez les jeunes est liée au besoin de croissance qui est très important et qui fait qu’ils ont des besoins forcèments plus importants, aussi liés à l’activité physique. Malheureusement, beaucoup de jeunes sont aussi sédentaires.
Donc la meilleure façon de réguler ces apports alimentaires c’est de ne pas être sédentaire. C’est essentiellement ce qu’on peut dire selon l’âge : c’est lié à la croissance, c’est lié à l’activité physique qu’il ne faut pas trop réduire quand on est âgé et quand on est plus jeune, il faut faire attention à rester très actif.

Quels sont les critères d’une alimentation équilibrée ?

Le premier critère est de ne pas manger trop par rapport à ses dépenses, ça ça me semble très important, et donc c’est l’aspect quantitatif. Pour savoir si on mange trop par rapport à ses, c’est très simple : si on grossit alors qu’on ne devrait pas grossir et bien ça ne va pas. Quelqu’un qui prend du poids régulièrement à l’âge adulte, c’est qu’il mange trop par rapport à ce qu’il dépense.
Le deuxième point c’est l’aspect non pas quantitatif, mais qualitatif et là la meilleure façon d’avoir une alimentation qualitativement équilibrée c’est de manger varié, donc la variété ça veut dire qu’il faut manger de tout. C’est ça la chose la plus importante. Et manger de tout ça veut dire qu’on mangera aussi bien des produits laitiers, un peu de viande, un peu de poisson, des produits céréaliers, des fruits des légumes, des matières grasses, etc. La variété c’est vraiment la clef de l’équilibre alimentaire.
Ensuite, on fera attention à ce que les produits soient eux-mêmes de qualité. Voilà donc ça me semble essentiel aussi.

Est-ce que vous auriez une idée pour conclure mon exposé ? Ce que je pourrais dire…

Pour conclure votre exposé, il ne faut pas oublier que l’alimentation a une fonction essentielle qui est d’apporter du plaisir, et donc il faut garder ce plaisir alimentaire. Et puis l’alimentation a aussi une fonction relationnelle, conviviale, et donc le repas sert à se rencontrer. Il est très important de manger à table avec d’autres personnes et de satisfaire ainsi pleinement nos fonctions de l’accès alimentaire, qui servent à la fois à se faire plaisir, à se réunir, à se rassembler, à partager, et bien sur à satisfaire nos besoins nutritifs et de maintenir l’état de santé.
Je pense qu’il faut revenir à des choses simples : bouger, manger varié et accepter les différences entre les personnes. Ça c’est quand même des bons messages.

Source de l’imagehttp://www.enviro2b.com/wp-content/uploads/2013/11/Jean-Michel-Lecerf.jpg

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