Canaux d’Anvers à Paris sur les traces de Stevenson

les textes en italique sont ceux de Stevenson issus du livre canaux et rivières d’Anvers à Compiègne dans la collection Itinéraires des éditions Encre.

Le premier livre racontant l’un des nombreux voyages de l’Écossais Robert Louis Stevenson est An Inland Voyage. Paru en 1878, il retrace son escapade sur les canaux et rivières de Belgique et de France, d’Anvers à Compiègne, près de Paris.

Plus d’un siècle plus tard, nous suivons les traces de l’auteur de l’Île au trésor, de Dr. Jekyll et Mister Hyde… et de son ami, Walter Simpson. À l’époque, ils emploient des canoës à voile : l’Aréthuse et la Cigarette. Les longs paragraphes de l’ouvrage concernant les chalands, les ancêtres de nos péniches, nous décident à employer ce moyen de transport.

Le monde de la batellerie ou d’Anvers à Bruxelles

Tandis que Stevenson mettait son bateau à l’eau, nous, nous recherchions une embarcation. Notre point commun, les docks d’Anvers et l’Escaut. Parmi les péniches alignées sur trois rangs, nous ne voyons pas comment savoir si l’un de ces bateliers décide de quitter le port… Notre seul espoir à Anvers réside dans la bourse de fret. Un système archaïque, mais équitable, qui gouverne les opérations. Sur des tableaux noirs, les différentes destinations, tonnages, le type de cargaisons et les conditions afférentes aux transports sont inscrits. La cinquantaine de bateliers présents peut décider librement ou non de charger la marchandise. C’est à ce moment qu’intervient le tour de rôle. Le batelier qui est depuis le plus longtemps dans le port choisit, puis dans un ordre dégressif jusqu’à celui qui vient d’arriver en dernier… Parfois, pour des raisons diverses, telle l’inadaptation du chargement à la péniche, les bateaux resteront à quai une semaine, quinze jours, voire davantage… Encore faut-il qu’il y ait suffisamment de fret à transporter… À la séance de 3 heures (une autre séance a lieu le matin vers 11 heures), seuls deux chargements ont pour destination l’intérieur de la Belgique, deux autres les Pays-Bas… Nous ne trouvons pas notre bonheur dans ces parcours, mais apprenons un peu plus à connaître les péniches et les bateliers…

Afin de ne pas attendre une éternité, nous décidons de suivre le cours de l’Escaut puis du Rupel jusqu’à atteindre Boom, «une grande église avec une horloge et un pont de bois par-dessus la rivière indiquant les quartiers centraux de la ville. Boom n’a rien de remarquable en soi…».
De là, nous nous rendons à l’écluse suivante, la seconde du parcours, afin de demander aux bâtiments qui se dirigent vers Bruxelles de nous prendre à bord. L’attente est longue, désespérante… Ce n’est plus la route habituelle des transports à destination de la France. Le tracé diffère. Depuis Anvers, les bateliers prennent la direction de Gand, puis continuent leur voyage plus au nord que notre chemin, qu’ils rejoignent à proximité de Compiègne. Ce choix est dû à l’évolution de la capacité des canaux, par les tonnages acceptés.
Près de cette écluse, sur le canal de Willebrœck, un café où il est possible de dîner… Le plat unique, un bifteck de cheval, est excellent. Nous nous opposons en faux par rapport au dîner de Stevenson à Boom, même si tout le long de nos journées nous nous abreuvons de café, systématiquement accompagné d’un petit gâteau sec, un spéculoos et ou d’un chocolat. La nourriture, comme il est fréquent en Belgique, était parfois impossible à définir ; en effet, je n’ai jamais été en situation de constater que ces gens accorts font ce qu’on peut appeler un repas ; ils ont l’air de pignocher et de s’amuser avec des mets tout le long du jour, en amateurs, essayant de singer la manière française ou d’imiter la manière allemande, mais pour se tenir entre l’une et l’autre.

Dans cette écluse, nous embarquons à bord du Con Dios, un bâtiment belge, rattaché au port d’Anvers, de 110 m de long, qui transporte du charbon. À l’arrière, une voiture est déposée sur le pont… Depuis le siècle dernier, la famille du marinier, sa femme et leur petite fille de 4 ans dans le cas présent, vit à bord. Seul membre de la famille absent, le petit garçon est retourné à l’école, dans une école spéciale, réservée aux enfants de bateliers.
Le plafond de la cabine n’est pas haut à cause des ponts et l’on s’y cogne facilement ! Pendant la majeure partie du trajet qui durera environ quatre heures, la femme n’arrête pas de briquer le pont.
Pareilles aux chalands de l’époque de notre auteur favori, les péniches s’avancent lourdement… Par quel mystère les marchandises arrivent-elles de ce train à destination ? De voir les chalands attendre leur tour à l’écluse, n’est-ce pas une bonne leçon quant à la manière dont il faut prendre commodément les choses ? Il doit y avoir bien des esprits heureux à bord d’un chaland, car la vie qu’on y mène y est à la fois celle du voyage et du foyer.

Entre Willebrœck et Vilvorde, à un endroit où le canal se déploie comme l’avenue d’un domaine campagnard, nous ne débarquons pas pour déjeuner comme Stevenson. Jusque Vilvorde, les écluses que mentionne Stevenson ont disparu. En revanche, nous avons sous les yeux un beau, un vert et gras paysage, ou plutôt un simple chenal vert se prolongeant de village en village.
Au-delà de Vilvorde, la surface du canal ne se transforme pas en une infinité de petites fontaines de cristal, sous la pluie. Adieu aussi aux belles maisons de plaisance avec des cadrans d’horloge et de longues lignes de fenêtres aux volets clos, de magnifiques vieux arbres disposés soit en bosquet ou en avenue qui donnaient, à travers la pluie et la brume commençante, un aspect de sombre richesse aux rives du canal.
Les bateaux serrés les uns contre les autres, alignés le long du bord du bassin, attendant leur tour à l’écluse à l’entrée de l’Allée Verte et au seuil de Bruxelles
ont disparu…
Malgré les difficultés d’accoster, Bruxelles, Le Royal Sport Nautique reçut chaleureusement nos deux amis par le passé… Cette vénérable institution semble avoir vécu…
De hauts murs nous guident à travers Bruxelles pour arriver à l’écluse de Molenbeek. Elle est proche de la gare du Midi et du centre de Bruxelles… C’est de cette gare que Stevenson avait dû prendre le train pour traverser la frontière entre la Belgique et la France, pour arriver à Maubeuge. L’étape qu’il envisageait entre Bruxelles et Charleroi comportait cinquante-cinq écluses ce qui équivalait pour lui à parcourir péniblement toute la distance à pied, les canoës sur les épaules… Pour notre part nous effectuons un saut de puce jusque Charleroi.

Sur le canal de la Sambre

Nous atteignons la série des petits canaux qui n’ont pas bougé depuis les élargissements pratiqués par Napoléon. Par exemple, en 1839 s’achève l’extension du canal de la Sambre à l’Oise.

Maubeuge est une ville fortifiée. Les remparts de Vauban abritent maintenant un zoo, 2ème ou 3ème de France. Détail amusant, Stevenson écrivait : «Les troupes battent du tambour, sonnent de la trompette, garnissent les remparts, aussi intrépides que des lions» ! Mais il est toujours vrai qu’ici, rien à faire et rien à voir, hormis le zoo précédemment cité, le trésor de Sainte-Aldegonde, et les Inattendues, une série de spectacles au début de l’été, dans cette ville dévastée en mai 1940.

Lors du départ de Maubeuge, la nature elle-même n’avait pas un air plus clément que le ciel (pour nous, le soleil est présent). En effet, nous avons traversé une contrée flétrie, clairsemée de broussailles, mais dont les cheminées d’usines rompaient élégamment la monotonie. . En fait, de nos jours, le paysage reste le même, mis à part les usines métallurgiques et sidérurgiques éteintes depuis peu qui nous laissent une région sinistrée économiquement. L’écluse à Hautmont était presque infranchissable, le débarcadère étant escarpé et élevé. Après Hautmont, nous sortons des forges et nous traversons une contrée délicieuse. La rivière serpentait entre des collines basses, aussi le soleil était tantôt derrière, tantôt devant nous, et la rivière étalait devant nos yeux sa gloire, d’un intolérable éclat. Des prairies et des vergers s’étageaient sur chaque rive bordée de joncs et de fleurs aquatiques. Les haies très élevées s’entrelaçaient autour des troncs d’ormes. ; et les champs, souvent très petits, semblaient une succession de berceaux le long du canal. Jamais d’ouverture d’horizon, quelquefois le haut d’une colline couronnée d’arbres apparaissait au-dessus d’une haie proche coupant le ciel par moitié ; mais c’était tout.
Des bestiaux blancs et noirs, étrangement tachetés, erraient dans les prairies…

Après l’écluse de Quartes, (l’église et le moulin à vent n’existent plus) nous atteignons Pont-sur-Sambre. Une grand-route large bordée à droite et à gauche, autant qu’il était possible d’en juger, par un village disgracieux. Les maisons se tenaient bien en arrière, laissant un ruban inculte des deux côtés de la route où s’entassaient des piles de bois, des voitures, des brouettes, des tas d’ordures et un peu d’herbe douteuse. Au loin, sur la droite, une tour squelettique s’érigeait au beau milieu de la rue. Ce qu’elle avait pu être dans les siècles passés, je l’ignore. Cette tour au centre du village possède toujours son mystère… Et ce malgré de nombreuses recherches effectuées sur ses origines, son utilité et sa date d’édification.
Peu après avoir quitté Pont, nous longeons la forêt de Mormal, qui désigne un site fort agréable tant à l’odorat qu’à la vue. Les arbres, le long du canal, avaient un air solennel, laissant pendre quelques-unes de leurs branches dans l’eau et dressant avec les autres un mur de feuillage vers le ciel. Qu’est ce qu’une forêt sinon une cité à même la nature, pleine d’un ensemble vivant d’être robustes et inoffensifs, où n’existe rien de mort ni d’artificiel, mais dont les habitants eux-mêmes sont les maisons et les monuments publics ? Il n’est rien d’aussi animé et cependant d’aussi tranquille que le monde des bois. Et sûrement, de tous les parfums de la terre, celui qu’exhale une masse d’arbres est de beaucoup le plus doux et le plus fortifiant. L’odeur de la mer n’est pas variée, tandis que celle des bois se renouvelle à l’infini ; elle change selon les heures du jour non seulement d’intensité, mais de caractère, et si vous allez d’un côté de la forêt à l’autre, les diverses essences semblent vivre dans une atmosphère différente. C’est généralement la résine des sapins qui domine. Certains arbres manifestent plus de coquetterie dans leurs habitudes ; et l’haleine de la forêt de Mormal, qui venait jusqu’à nous n’exhalait rien de moins que la délicate senteur de l’églantier.

Hélas ! La forêt de Mormal n’est qu’une fraction d’un bois et nous ne l’avons longée que sur un petit parcours.. Pourtant, la forêt de Mormal est le plus vaste massif forestier au nord de Paris ! C’est ici aussi que se trouve la seule écluse d’Europe de l’époque du voyage de Stevenson : la machine à Robert (dont la mécanique fonctionne toujours), située à côté de l’écluse d’Hachette.
Landrecies, n’est certes pas un endroit particulièrement désigné pour qu’on y prenne un jour de repos. . Les raisons sont différentes entre celles du passé et d’aujourd’hui. Dans le passé, car la ville était constituée presque tout entière que de fortifications ; de nous jours, car rien n’est prévu pour le tourisme. Les seuls bâtiments publics qui pussent présenter pour nous un intérêt quelconque étaient l’hôtel et le café. Même si le café dans le lieu du même nom est imbuvable… Nous avons visité l’église où repose la dépouille du Maréchal Clarke. Personnage inconnu de Stevenson : Dupleix… est un enfant du pays ?

Le canal de la Sambre à l’Oise et en descendant l’Oise

De Landrecies à Etreux nous avons suivi bientôt une plaisante vallée remplie de peupliers. De-ci, de-là apparaissaient d’agréables villages sur les pentes de la colline ; Tupigny, entre autres… L’air était pur et doux au milieu de tous ces champs verts et de toute cette verdure. Pas la moindre pointe d’automne dans l’atmosphère. De Vadencourt jusqu’à Origny Sainte-Benoîte, la rivière sinuait dans une étroite vallée très boisée.

Dans les collines après Origny, la rivière fait un coude dans un scintillement et nous sommes restés seuls au milieu des arbres verts et de l’eau courante. L’Oise continuait son chemin, son petit bonhomme de chemin, chantant parmi les peupliers et creusant une verte vallée dans le monde. Moy (prononcer moi) est un charmant petit village, rassemblé autour d’un château dans un fossé.

La Fère est une ville fortifiée dans une plaine avec deux ceintures de remparts. La ville était remplie de soldats… . Après la Fère, la rivière ne court plus à travers une contrée pastorale de vaste étendue, verte, opulente, aimée des éleveurs. Ce sont des villes aux noms qui évoquent l’industrie : Tergnier, Chauny… Mais il est vrai que Stevenson avait suivi l’Oise alors que nous suivons le Canal latéral de l’Oise. Aussi, pas de Vallée Dorée pour nous. Des collines s’élèvent au loin sur chaque rive ; et d’un côté la rivière longe parfois les éperons boisés de Coucy et Saint-Gobain. De loin en loin, nous passions près d’un village.
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Noyon se situe à un mille de la rivière, dans une petite plaine entourée de collines boisées. Une longue cathédrale rigide flanquée de deux tours d’un jet droit, se tient raide et solennelle, dominant tout…

Le jour où nous avons quitté Noyon, il n ‘y avait que des rives argileuses, que des saules jusqu’à ce que nous arrêtames à Pimprez. La rivière avait commencé à nous ouvrir une meilleure perspective sur la campagne. Ses rives n’étaient plus aussi hautes, les saules disparaissaient de ses bords, d’agréables collines s’érigeaient tout le long de son cours et se profilaient sur le ciel.
Nous avons été rejoints par l’Aisne, une rivière qui avait déjà beaucoup voyagé et sortait toute fraîche de la Champagne. À ce point précis, l’Oise termine son adolescence et célèbre ses noces. Elle ne cessait, dès lors, de marcher superbement, au ras des rives, consciente de sa dignité… Elle composait une figure tranquille dans le paysage. Les arbres et les villes se reflétaient en elle, comme dans un miroir. Nous atteignions Compiègne.
Des gens flânaient sur le quai, quelques-uns pêchant. L’hôtel de ville de Compiègne faisait mes délices. J’en raffolais tout à fait. C’est un monument d’un gothique intempérant, un fouillis de tourelles et de gargouilles, tout en ciselures et en ornements, avec une demi-douzaine de fantaisies architecturales. Quelques-unes des niches sont couvertes de dorure ou peintes, et au centre, dans un grand panneau carré, un haut-relief noir, sur fond or, figure Louis XII monté sur un cheval en marche, le poing sur la hanche, la tête rejetée en arrière. Toute sa personne respire une arrogance royale ; le pied dans l’étrier se détache avec insolence du cadre ; le cheval lui-même semble prendre plaisir à fouler de ses sabots les serfs prosternés ; on dirait que le souffle de la trompette gonfle ses naseaux. Ainsi chevauche à jamais, sur la façade de l’hôtel de ville, le bon roi Louis XII, le père du peuple.

Au-dessus de la tête du roi, dans la grande tour centrale, apparaît le cadran d’une horloge, et plus haut encore trois petits personnages mécaniques tenant chacun un marteau à la main, dont l’office est de carillonner aux heures, aux demies et aux quarts pour les bourgeois de Compiègne. Le personnage du milieu porte une cuirasse dorée, les deux autres des hauts-de-chausses, et tous les trois sont coiffés de chapeaux élégants à bords rabattus comme des chevaliers. Quand le quart approche, ils tournent la tête et se regardent avec un air entendu, et trois petits marteaux font «ding !» sur les trois petits timbres qui se trouvent au-dessous. L’heure sonne ensuite profonde et sonore à l’intérieur de la tour, et les messieurs dorés se reposent de leur travail avec satisfaction
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Compiègne, la ville où Jeanne d’Arc a été faite prisonnière, la ville où les rois de France venaient chasser… mérite le détour ne serait-ce que pour son château.

De Compiègne, Stevenson gagne l’Isle-Adam, Verberie, fière de ses vieilles maisons, Précy sur Oise, où la plaine abonde de boqueteaux de peupliers. Pendant les deux jours de navigation qui ont suivi, la rivière coulait paisiblement à travers d’agréables paysages. Stevenson est passé par Auvers-sur-Oise, berceau de l’Impressionnisme où ses contemporains : Daubigny, Cézanne, Van Gogh… vivaient, mais rien n’indique qu’il ait eu connaissance de leur existence dans ces lieux. Pour terminer notre voyage, nous irons quelques kilomètres plus loin, jusqu’à Conflans-Sainte-Honorine, endroit où l’Oise se jette dans la Seine, capitale de la batellerie, pour visiter le musée de la batellerie.

Une lettre reçue à Pontoise mit fin au voyage de notre héros. Les dernières pages du livre indiquent que le nôtre se termine aussi.

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